5.3 Pseudo-gradients
Dans cette section, on veut étendre aux fonctions (de Morse) sur une variété la notion de champ de vecteurs de gradient familière dans . Déjà dans le cas de l'objet qui décrit naturellement les variations à l'ordre un d'une fonction est qui n'est pas un champ de vecteurs mais un champ de formes linéaires. La définition du gradient euclidien est la formule . En particulier est partout positif et s'annule exactement aux points critiques.
L'extension la plus évidente de cette définition à une variété passe par le choix d'une métrique riemannienne, un champ de produits scalaire sur . Dans ce chapitre, pour des raisons techniques, cette notion est à la fois trop rigide loin des points critiques et pas assez rigide près des points critiques. On utilisera donc la définition technique suivante.
On note en particulier qu'un pseudo-gradient adapté à s'annule exactement aux points critiques de .
Soit une fonction de Morse sur une variété compacte sans bord . Soit un pseudo-gradient adapté à et soit le flot de . Pour tout point critique on note la variété instable du champ de vecteurs en :
Vu la définition, pour tout voisinage de , . Soit l'indice de . En prenant comme voisinage une carte de Morse adaptée à , dans laquelle est le sous-espace vectoriel , on voit que est une sous-variété difféomorphe à dans .
De même on définit la variété stable en remplaçant par , il s'agit d'une sous-variété difféomorphe à dans .
Dans la situation de la proposition, la courbe est appelée trajectoire de reliant à . Par définition des variétés stables et instables, est incluse dans . De plus elle intersecte exactement une fois chaque niveau de pour .
5.3.1 Lemme de descente des valeurs critique
Le lemme suivant affirme que, sous une certaine condition portant sur la variété instable on peut descendre la valeur critique sans modifier les points critiques et en gardant le même pseudo-gradient. Lorsque est un minimum local (i.e. d'indice nul) il n'y a pas de condition à vérifier. La démonstration de ce lemme est assez longue. C'est en partie dû à une disjonction de cas selon l'indice du point critique. Mais il y a aussi une explication commune à beaucoup de démonstrations spécifiques en topologie différentielle : la plus grande partie du travail consiste à décrire précisément la situation puis il y a une idée clef qui est limpide si la description est pertinente.
Soit un pseudo-gradient adapté à une fonction de Morse sur une variété compacte sans bord . Soit un point critique de .
Si l'indice de est nul, pour tout nombre positif , il existe une homotopie de fonctions de Morse admettant toutes comme pseudo-gradient, qui commence à et qui se termine par vérifiant . De plus on peut construire cette homotopie de sorte que en dehors d'un voisinage arbitrairement petit de .
Si est d'indice strictement positif, on suppose que contient un disque lisse dont le bord est dans un niveau avec . Alors, pour tout assez petit, il existe une homotopie de fonctions de Morse admettant toutes comme pseudo-gradient, qui commence à et qui se termine par vérifiant . De plus on peut construire cette homotopie de sorte que en dehors d'un voisinage arbitrairement petit de .
Si est d'indice zéro, le modèle imposé dans une carte centrée en devient et . Soit une fonction plateau qui vaut sur un voisinage de , s'annule au-delà de et vérifie partout. On pose . Si est assez petit, est à support dans la carte de Morse donc s'étend en homotopie globale. De plus ne s'annule qu'en l'origine car . Hors de l'origine . Près de l'origine . Ainsi on a bien une homotopie parmi les fonctions de Morse admettant comme pseudo-gradient.
Le cas où est d'indice demande aussi un traitement spécial et ne sera pas utilisé dans le suite, on le laisse donc en exercice.
On suppose maintenant que l'indice de est strictement compris entre et . On note un voisinage arbitrairement petit de en dehors duquel on ne doit rien changer. Quitte à le rétrécir on peut supposer qu'il ne contient pas d'autre point critique que . Dans une carte de Morse adaptée à autour de , devient la fonction définie sur un voisinage de l'origine dans qui envoie sur et devient . On considère, pour tout , le fermé
qu'on appelle modèle de Morse standard d'indice et de taille . La famille des est invariante par homothétie centrée en l'origine et chacun d'entre eux est compact. Ainsi, pour assez petit, est contenu dans la carte de Morse considérée et dans .
Dans ce modèle devient et la variété stable devient . Le modèle est une « variété à coins » : sa frontière topologique est constituée d'une partie dite horizontale formée de et , et d'une partie dite verticale . Les parties horizontales sont des hypersurfaces à bord lisse dans leurs niveaux respectifs. De plus est un voisinage tubulaire de la sphère dans . Ce voisinage tubulaire est un fibré trivial contenu dans un voisinage arbitrairement petit de la sphère si est suffisamment petit. La partie verticale est la réunion des trajectoires de allant de à . L'intersection est difféomorphe à et ces deux produits de sphères forment le lieu des coins de . Toutes ces propriétés se vérifient directement car tout est explicite dans le modèle, y compris le flot de .
On va maintenant étendre le modèle le long du disque . Quitte à diminuer , toutes les trajectoires de issues de atteignent le niveau puisque celles issues de le font. On note la réunion de ces trajectoires, arrêtées lorsqu'elles atteignent . Il s'agit d'un compact contenant et la partie de située hors de . On pose .
Dans , ne s'annule pas. Donc il existe une fonction partout strictement positive qui coïncide avec sur un voisinage de et vaut hors de . On remplace par . Ce nouveau champ de vecteurs est pseudo-gradient pour les mêmes fonctions et a les mêmes variétés stables et instables, on le note donc . On a gagné sur . Ainsi le flot de vérifie tant que reste dans . En particulier chaque est un voisinage tubulaire de dans .
La frontière de admet une description entièrement analogue à celle de et on emploie des notations analogues. En particulier est la réunion des trajectoires de reliant à . On fixe un voisinage tubulaire de dans le niveau . On pose . Quitte à rétrécir l'intervalle , le flot de restreint à fournit un voisinage tubulaire dans lequel devient et devient . On considère vu comme voisinage collier de dans .
On observe que les lignes de niveau de dans sont les hypersurfaces . L'idée clef consiste à modifier ces lignes de niveaux dans l'intérieur de parmi les hypersurfaces transversales à . Les lignes de niveau d'origine peuvent s'écrire où est dans et est le graphe de valant identiquement . De plus toutes les lignes de niveau intersectant passent par sous la forme d'une hypersurface pour un unique . Ainsi on peut spécifier une homotopie en gardant hors de , en remplaçant les par des graphes de sorte que la nouvelle famille d'hypersurfaces coïncide avec l'ancienne près du bord de . Les valeurs de chaque nouvelle fonction dans sont dictées par celles de hors de et reste transversal aux lignes de niveaux donc pseudo-gradient.
On choisit pour le graphe de où et sont deux fonctions plateau qui s'annulent au voisinage de , vaut au voisinage de tandis que vaut dès que dépasse . Pour , la ligne de niveau devient raccordée à l'ancienne ligne de niveau critique donc à comme souhaité.
5.3.2 Lemme de modification des nappes
On rappelle qu'une isotopie d'une variété est une application telle que chaque est un difféomorphisme de et .
Comme est une valeur régulière de , est une hypersurface lisse de au voisinage de laquelle ne s'annule pas. On peut donc remplacer par sans changer et assurer ainsi que, toujours au voisinage de , le flot de vérifie . La restriction de ce flot , , fournit un voisinage tubulaire de dans lequel devient , devient et devient .
Soit une fonction qui s'annule pour et vaut un à partir de . Soit le difféomorphisme de qui envoie sur . On pose . Comme commute à la projection de sur , la composante sur de vaut toujours et est un pseudo-gradient adapté à . Sa variété instable rencontre le voisinage tubulaire le long de dont l'intersection avec est bien .
Pour contrôler le support de l'homotopie, il suffit de réduire .