8 Suites exactes longues en cohomologie
Le chapitre précédent a introduit les espaces cohomologie de de Rham et calculé quelques exemples très simples, soit en se ramenant à la cohomologie d'un point en utilisant l'invariance par homotopie soit en ne dépassant pas le stade du . Les succès rencontrés dans le cas du tiennent en bonne partie au fait que deux primitives d'une -forme diffèrent d'une -forme fermée, c'est à dire d'une constante (en supposant la variété connexe). Or le monde des formes fermées de degré non nul est bien plus vaste ; celui des -formes fermées contient toutes les différentielles de fonctions par exemple. On peut donc légitimement s'inquiéter pour la calculabilité des non nuls avec . Ce chapitre présente un outil majeur pour débloquer la situation : le passage des suites exactes courtes de complexes aux suites exactes longues en cohomologie. Comme il s'agit d'un gadget algébrique un peu lourd à mettre en place, il est utile de faire d'abord une tentative plus artisanale.
On cherche à calculer la cohomologie de de Rham de la sphère . Puisque est simplement connexe, et (cf. les exercices du chapitre précédent). Il reste donc à calculer . L'idée cruciale est de décomposer en deux ouverts et difféomorphes à des plans et s'intersectant le long d'un cylindre ouvert . On peut penser que est le complémentaire du pôle Nord et celui du pôle Sud. On a le diagramme commutatif d'inclusions suivant :
Les cohomologies de et sont connues. Comme se rétracte par déformation sur l'équateur, sa cohomologie est aussi connue. L'espoir est de reconstruire à partir de ces informations. Soit donc une -forme sur (automatiquement fermée car est de dimension deux). Comme pour ou , il existe des -formes sur telles que . Une observation essentielle est que est fermée sur l'intersection car et y ont même dérivée. Plus précisément on peut écrire :De plus, comme , le choix de n'est arbitraire que modulo l'addition d'une différentielle de fonction . Ainsi la classe de cohomologie de dans ne dépend que de . Mieux, si on remplace par une forme cohomologue , on peut remplacer chaque par sans changer . On a donc construit une application de dans . On peut vérifier qu'elle est linéaire.
Montrons qu'il s'agit d'un isomorphisme (on aura donc ). Soit une partition de l'unité subordonnée à . On part d'une -forme fermée sur . La 1-forme s'étend à par zéro, elle est donc de la forme . De même . Le signe est là pour avoir en utilisant . Par construction
donc et se recollent en -forme globale sur . Attention, cela ne signifie pas et se recollent en -forme globale, sinon serait exacte, ce que Stokes interdit si est une forme volume par exemple. Si on remplace par une -forme cohomologue alors devient (où désigne l'extension par zéro de à ) tandis que devient . Ainsi devient où, par exemple, est une -forme qui vaut sur et sur , les deux se recollant bien sur . On a donc bien défini une application de dans . On vérifie qu'il s'agit de l'inverse de l'application précédente.
On tire les leçons suivantes de cet exemple. La stratégie fonctionne. Il y a beaucoup de vérifications à faire. Celles-ci ne dépendent pas vraiment de la situation précise mais seulement des groupes de cohomologie déjà connus et de l'existence de partitions de l'unité. Clairement il serait très lourd et répétitif de devoir refaire cette gymnastique à chaque nouvel exemple de variété décrite comme réunion de variétés plus simples. S'il y a plus de deux ouverts dans la décomposition ou, de façon équivalente, si on essaie d'itérer la décomposition en deux ouverts au prix d'un accroissement progressif de la complexité des ouverts, la méthode risque de devenir inextricable.
Toutes ces leçons poussent à développer l'algèbre homologique de la section suivante. On en déduira ensuite un énoncé général reliant la cohomologie de , , et : la suite exacte longue de Mayer-Vietoris, qui ne donnera directement un isomorphisme entre et que dans le cas favorable où et n'ont pas de cohomologie en degré et . Mieux, le même théorème d'algèbre donnera une version à support compact et un énoncé en tout points analogue reliant la cohomologie d'une variété, d'une sous-variété et du complémentaire de cette sous-variété.