10.1 Intersection et dualité de Poincaré
Le lien entre le nombre d'intersection du chapitre 4 et la cohomologie de de Rham est basé sur une description géométrique du dual de Poincaré d'une sous-variété en termes de voisinages tubulaires.
On rappelle que le chapitre 3 a défini la notion de voisinage tubulaire d'une sous-variété comme étant un difféomorphisme entre un voisinage de la section nulle dans le fibré normal qui est convexe dans chaque fibre et un voisinage de . Le voisinage est alors équipé de la projection qui fait commuter le diagramme suivant :
Selon les circonstances, on désigne aussi par voisinage tubulaire la projection , ou même . Lorsque et sont orientées, on oriente les fibres de en imposant que, en tout point de , une base directe de suivie d'une base directe de fournisse une base directe de . Enfin on remarque que le corollaire 9.5 assure qu'un voisinage tubulaire d'une sous-variété compacte est une variété de type fini. On peut alors décrire comme suit le dual .sa classe de cohomologie est le dual de Poincaré ;
pour tout dans , .
Avant de démontrer cette proposition, on énonce un lemme de construction de voisinages tubulaires adaptés à certaines paires de variétés et on déduit le théorème 10.1 de ces deux énoncés.
On commence par remarquer qu'il est loisible de supposer et transversales. En effet, le théorème de transversalité de Thom (théorème 4.9) fournit une isotopie telle que soit transversale à . Comme l'inclusion de dans et sont homotopes (via ), le théorème de Stokes assure que l'intégrale d'une forme fermée sur coïncide avec son intégrale sur donc . De plus d'après le théorème 4.10.
Le lemme 10.4 fournit un voisinage tubulaire de tel que . Ainsi est une somme sur de où le signe est positif si les orientations sur données par et par coïncident et négatif sinon.
On veut comparer cette somme avec :
Soit un représentant de fourni par la proposition 10.3 appliquée au voisinage tubulaire . Comme est à support dans , son intégrale sur est égale à son intégrale sur . Comme est d'intégrale sur toutes les fibres de , on obtient bien la même somme que dans le calcul de .
On commence maintenant le travail menant à la démonstration de la proposition 10.3 décrivant géométriquement le dual de Poincaré d'une sous-variété. On se place dans un contexte légèrement plus général que celui d'un fibré normal car cela ne coûte rien. On y développe juste ce qu'il faut de la théorie des classes de Thom pour démontrer la proposition visée.
Soit un fibré vectoriel de rang à fibres orientées au-dessus d'une variété de dimension . On définit l'intégration le long des fibres comme l'application de dans qui envoie sur la fonction
Plus généralement on peut définir mais le cas où est le plus simple et suffira ici.
On oriente de sorte que, si est une base de avec tangents à la fibre et y définissant la bonne orientation alors est une base de (on dit que c'est la convention d'orientation « la base d'abord »). Dans le cas où , cette convention est bien compatible avec la convention d'orientation des voisinages tubulaires discutée plus haut.
On a alors deux propriétés essentielles de l'intégration le long des fibres qui découlent respectivement du théorème de Fubini et de la formule de Stokes.
Pour tous et , on a la « formule de projection » :
Si est fermée alors la fonction est constante.
Le deuxième point est une version faible du véritable résultat mais la version faible nous suffira. La version forte, étendue aux formes de tout degré, permet de descendre en cohomologie et le premier point devient alors où et sont les applications bilinéaires de la dualité de Poincaré. On peut donc voir la formule de projection comme une relation d'adjonction entre et .
Le premier point découle du théorème de Fubini et l'existence de partitions de l'unité sur appliqué à un recouvrement de par des ouverts de trivialisation de . En effet les deux membres sont linéaires en et compatibles aux isomorphismes de fibrés vectoriels. Donc les partitions de l'unité permettent de supposer que est à support dans un ouvert de carte au-dessus duquel est trivial, c'est à dire qu'on peut supposer que . On note les coordonnées sur et celles sur . On écrit alors où est combinaison des autres vecteurs de la base canonique de en chaque point. En particulier chaque composante de contient au moins un et . On écrit aussi . Ainsi
tandis que donc le théorème de Fubini assure bien l'égalité voulue.
On montre maintenant que est constante si est fermée. Par connexité de , il suffit de montrer que est constante en restriction à n'importe quelle courbe reliant deux points quelconques et . On applique la formule de Stokes :
Donc est constante.
Soit une forme fermée à support compact dans . Il existe tel que l'homothétie dans les fibres de rapport envoie le support de dans . On remplace par sans changer sa classe de cohomologie car est propre et proprement homotope à l'identité (le fait que soit non nul est ici crucial).
On note la section nulle. Par définition, les formes représentant le dual de Poincaré (en identifiant et ) sont caractérisées par :
Or est une rétraction de sur sa section nulle (toujours identifié à ). En particulier et sont des isomorphismes inverses l'un de l'autre (corollaire 7.8). En tenant aussi compte du fait que toute -forme sur est fermée, on peut donc réécrire la caractérisation ci-dessus comme :
La formule de projection du lemme 10.5 réécrit cela
Comme est fermée, le lemme 10.5 assure que est une fonction constante. De plus il existe une forme d'intégrale non nulle sur car est orientable. On a donc la caractérisation annoncée.
La démonstration est essentiellement terminée modulo un résultat de localisation à peu près tautologique.
Soit la dimension de . On note et l'intégration sur vue comme forme linéaire sur et respectivement. Ainsi, par définition, et où on note l'isomorphisme de Poincaré à la fois pour et . On a bien sûr , qu'on réécrit .
L'autre remarque tautologique est que, si est à support compact dans alors, pour toute forme sur , . Ainsi le diagramme suivant commute :
donc .