4.3 Théorème de transversalité de Thom
Le premier résultat crucial de cette section est un résultat de transversalité en famille : si une famille d'applications est transversale sur une sous-variété alors presque tous les membres de cette famille le sont. Cette observation pénétrante est due à René Thom. Elle a définitivement dégagé le rôle fondamental du théorème de Sard.
Dans l'énoncé ci-dessus, joue le rôle d'espace des paramètres et est vu comme la famille des .
Il s'agit d'une conséquence du théorème de Sard et d'une observation d'algèbre linéaire triviale :
Puisqu'un partie de mesure pleine est dense, la proposition précédente montre que, pour approcher une application par une application transversale sur une sous-variété , il suffit de l'inclure dans une famille transversale sur . L'observation suivante est qu'il est fructueux d'être plus ambitieux et de chercher à inclure dans une famille qui submerge : si est une submersion alors est transversale sur toute sous-variété . En particulier le lemme suivant permet d'établir la densité des applications transversales. Il affirme qu'il existe une famille de difféomorphismes de de dimension finie qui secoue partout dans toutes les directions.
L'énoncé ci-dessus devient évident si on remplace par . Dans ce cas, il suffit de choisir et de poser . La démonstration du lemme consistera à utiliser cette idée dans les cartes d'un atlas fini. La modification cruciale sera de passer d'une translation , qui ne s'étend pas hors de la carte, à un difféomorphisme à support compact. Pour cela il suffit de voir la translation comme l'aboutissement du mouvement , , et de freiner le mouvement en s'approchant du bord de la carte. Avant de voir les détails de ce lemme, on en déduit immédiatement une version du théorème de transversalité de Thom :
Soit une application entre variétés et une sous-variété de . On suppose que est compacte. Il existe une famille lisse de difféomorphismes de , qui sont tous arbitrairement proches de l'identité (en norme pour tout ) tels que et est transversale sur .
Si est déjà transversale sur en tout point d'un compact , alors il existe une homotopie lisse , , telle que , tous les sont arbitrairement proches de (en norme pour tout ) et coïncident avec au voisinage de et est transversale sur .
Dans le théorème, la famille est lisse au sens où est lisse et de même pour l'homotopie de la deuxième partie. Une telle famille de difféomorphismes est appelée isotopie de .
Soit l'application fournit par le lemme 4.8. On note . L'application de dans définie par est une submersion puisque, en tout , sa différentielle restreinte à est déjà surjective. Ainsi cette application est transversale sur et la proposition 4.6 assure que, pour presque tout , est transversale sur . On pose alors pour un petit.
Si est transversale sur en tout point de , elle l'est encore sur un voisinage de car la condition de transversalité est ouverte. Soit une fonction plateau à support dans qui vaut un sur un voisinage de . On considère
de dans . Elle est transversale sur en tout point de car et est transversale sur dans . Quitte à rétrécir , on peut le supposer d'adhérence compacte. On obtient ainsi la transversalité dans pour un . Si n'est pas dans alors est surjective donc est a fortiori transversale sur . Ainsi la proposition 4.6 appliquée à permet de trouver arbitrairement proche de l'origine tel que est transversale sur . On pose .
Comme annoncé, l'idée consiste à empiler des translations dans toutes les directions dans des cartes de , mais en freinant chaque mouvement de translation pour éviter qu'il ne tente de sortir de sa carte. Soit un atlas fini de . Comme dans la démonstration du théorème 3.3, on utilise une partition de l'unité pour obtenir des ouverts inclus dans l'intérieur des qui recouvrent encore et des fonctions à support compact qui valent un sur . Sur chaque et pour chaque vecteur dans on considère le champ de vecteur tronqué . Il est à support compact, coïncide avec sur et s'annule partout si est nul. On note son flot au temps . On remarque que, pour tout dans , la dérivée de par rapport à en est l'identité puisque, pour assez petit, . Par ailleurs est à support dans . On peut donc poser
puis où est le nombre de cartes. Chaque est un difféomorphisme comme composée de difféomorphismes et . De plus chaque est une submersion en l'origine car il existe tel que contienne et la dérivée partielle de en par rapport à est surjective (c'est la différentielle de en ).
L'ensemble des tels que soit une submersion en est un ouvert de . Donc, pour chaque , il existe un ouvert de et un rayon tel que soit inclus dans . Par compacité de , on peut recouvrir par un nombre fini de et est dans pour tout . Comme est difféomorphe à , le lemme est démontré.
Dans la première partie du théorème précédent, l'application est perturbée en application transversale sur en la modifiant parmi une famille très spécifique d'applications de dans : celles qui sont de la forme pour un difféomorphisme de . On dit qu'il s'agit d'un théorème de transversalité sous contrainte, par opposition au résultat plus faible affirmant qu'on peut perturber parmi toutes les applications de dans . Dans le chapitre suivant, la densité des fonctions de Morse (théorème 5.7) sera un autre exemple de transversalité sous contrainte. La méthode suivie plus haut suggère la définition suivante, due à François Laudenbach 1 : on dit qu'une partie est universellement transversale si, pour tout élément de , il existe une famille d'élément de contenant et submergeant . Dans cette situation, pour toute sous-variété , l'ensemble des applications transversales sur est dense dans .