Chapitre 2 Matrices

2.1 Espace vectoriel des matrices de taille \(m\times n\)

Définition 2.1 (Matrice) Soit \(\mathbf{K}\) un corps et \(n,m\in\mathbf{N}\) des entiers supérieurs à 1. Une matrice \(A\) de taille \(m\times n\) est un tableau de nombre \(A=(a_{i,j})\) avec \(a_{i,j}\in\mathbf{K}\) pour \(1\leq i\leq m\) et \(1\leq j\leq n\) à \(n\) lignes et \(n\) colonnes.

L’entier \(i\) est l’indice des lignes et \(j\) celui des colonnes. Les nombres \(a_{i,j}\) sont les coefficients de la matrice \(A\).

Exemple 2.1 Le tableau de nombres

\[A=\begin{bmatrix}1&0&0&1\\1&0&1&1\\0&1&0&1\end{bmatrix}\] est une matrice à 3 lignes et 4 colonnes à coefficients dans \(\mathbf{F}_2\).

Exemple 2.2 Un vecteur ligne \(v=(v_1,\dots,v_n)\) de \(\mathbf{K}^n\) peut être vu comme une matrice de taille \(1\times n\). Le vecteur colonne \(v=\begin{bmatrix}v_1\\ \vdots\\ v_n\end{bmatrix}\) peut lui être vu comme une matrice de taille \(n \times 1\).

Chaque matrice \(A=(a_{i,j})\) de taille \(m\times n\) peut être identifiée à un vecteur de \(\mathbf{K}^{m\times n}\). C’est le vecteur \[(a_{1,1},\dots,a_{m,1},a_{1,2},\dots,a_{m,2},\dots,a_{1,n},\dots,a_{m,n}).\]

Visuellement, pour la matrice \(A=\begin{bmatrix}2&1\\3&0\\4&1\end{bmatrix}\), on obtient le vecteur colonne

\[\begin{bmatrix}2\\3\\4\\1\\0\\1\end{bmatrix}\] ce qui correspond à empiler les colonnes de \(A\) les unes au-dessus des autres.

Définition 2.2 (Espace vectoriel des matrices) L’ensemble des matrices de taille \(m\times n\) à coefficients dans \(\mathbf{K}\) se note \(M_{m,n}(\mathbf{K})\). Avec l’identification donnée ci-dessus d’une matrice avec un vecteur colonne, L’ensemble \(\mathrm{M}_{m,n}(\mathbf{K})\) s’identifie avec l’espace vectoriel \(\mathbf{K}^{mn}\). Lorsque \(m=n\), on note simplement \(\mathrm{M}_{n}(\mathbf{K})\) pour l’ensemble des matrices carrées de taille \(n\times n\).

L’identification de \(M_{m,n}(\mathbf{K})\) avec \(\mathbf{K}^{mn}\) donne une structure d’espace vectoriel aux matrices. Ainsi, il existe une addition vectorielle et une multiplication scalaire pour les matrices. En fait, celles-ci se font simplement coefficient par coefficient.

Définition 2.3 (Addition matricielle) Soit \(A=(a_{i,j})\) et \(B=(b_{i,j})\) deux matrices de taille \(m\times n\) sur un corps \(\mathbf{K}\). La somme \(A+B\) est la matrice \((a_{i,j}+b_{i,j})\).

Définition 2.4 (Multiplication scalaire) Soit \(A=(a_{i,j})\) une matrice de taille \(m\times n\) sur un corps \(\mathbf{K}\) et \(\lambda\in\mathbf{K}\). La matrice \(\lambda A\) est la matrice \((\lambda a_{i,j})\)

Exemple 2.3 On considère les matrices \(A=\begin{bmatrix}1&2\\2&3\end{bmatrix}\) et \(A=\begin{bmatrix}0&2\\2&1\end{bmatrix}\). Leur somme est alors

\[A+B=\begin{bmatrix}1&4\\4&4\end{bmatrix}.\]

Pour \(\lambda=3\), la multiplication de \(A\) par 3 est

\[3A=\begin{bmatrix}3&6\\6&9\end{bmatrix}.\]

Remarque. On aurait pu identifier une matrice \(A\) de taille \(m\times n\) avec un vecteur ligne de longueur \(mn\) en mettant les lignes de \(A\) les unes à la suite des autres. Cela donnerait une autre identification de \(M_{m,n}(\mathbf{K})\) avec un espace vectoriel mais cela ne change pas les opérations d’addition vectorielle et multiplication scalaire.

La base canonique de \(\mathbf{K}^{mn}\) correspond à des matrices avec que des zéros à part un unique 1. On note \(E_{i,j}\) pour la matrice avec des zéros partout sauf un 1 en position \((i,j)\) :

\[\begin{equation*}\begin{array}{cc} & \begin{array}{ccccccc} & \quad j \quad & \end{array}\\ \begin{array}{c} \\ \ \\ \ \\ i\\ \ \\ \ \\ \ \end{array} & \left[\begin{array}{ccccccc} 0 & &&0 &&& 0\\ &\ddots&&\vdots&&\kern3mu\raise1mu{.}\kern3mu\raise6mu{.}\kern3mu\raise12mu{.}\\ &&0&0&0\\ 0 &\cdots&0& 1 & 0&\cdots&0\\ &&0 & 0 & 0\\ &\kern3mu\raise1mu{.}\kern3mu\raise6mu{.}\kern3mu\raise12mu{.}&&\vdots&&\ddots\\ 0 & &&0 &&& 0\\ \end{array}\right] \end{array} \end{equation*}\]

Définition 2.5 La base canonique de \(M_{m,n}(\mathbf{K})\) est la famille \((E_{i,j})\).

Ainsi, la matrice \(A=(a_{i,j})\) se décompose dans la base \((E_{i,j})\) sous la forme

\[A=\sum_{i,j}a_{i,j}E_{i,j}.\] L’identification de \(M_{m,n}(\mathbf{K})\) avec \(\mathbf{K}^{mn}\) donne tout de suite le résultat suivant.

Lemme 2.1 La dimension de l’espace des matrices \(M_{m,n}(\mathbf{K})\) est \(m\times n\).

2.2 Application linéaire associée à une matrice

Définition 2.6 Soit \(\mathbf{K}\) un corps. Une application \(f\) de \(\mathbf{K}^n\) vers \(\mathbf{K}^m\) est linéaire si :

  • Pour tout \(u,v\in\mathbf{K}^n\), \(f(u+v)=f(u)+f(v)\),
  • pour tout \(u\in\mathbf{K}^n\) et \(\lambda\in\mathbf{K}\), \(f(\lambda u)=\lambda f(u)\).

Remarque. Si \(f\) est une application linéaire alors \(f(0)=0\). En effet, pour tout \(u\in\mathbf{K}^n\), \(f(0)=f(0\cdot u)=0\cdot f(u)=0\).

Définition 2.7 (Application linéaire associée à une matrice) Soit \(A\in M_{m,n}(\mathbf{K})\). L’application linéaire associée à \(A\) est l’application qui à un vecteur \(u=(u_j)\in\mathbf{K}^n\) associe le vecteur \(v=(v_i)\in\mathbf{K}^m\) donnée par les relations

\[v_i=\sum_{j=1}^na_{i,j}u_j.\]

Le fait que l’application associée ci-dessus à une matrice est bien linéaire se vérifie de la manière suivante : Soit \(A=(a_{i,j})\) la matrice et \(f\) l’application associée.

  • Pour deux vecteurs \(u,u'\in\mathbf{K}^n\), si \(v=f(u+u')\) alors \[v_i=\sum_{1\leq j\leq n}a_{i,j}(u_j+u'_j)=\sum_{j=1}^na_{i,j}u_j+\sum_{j=1}^na_{i,j}u'_j\] et donc \(f(u+u')=f(u)+f(u')\).
  • De même pour \(u\in\mathbf{K}^n\) et \(\lambda\in\mathbf{K}\), si \(v=f(\lambda u)\) alors \[v_i=\sum_{j=1}^na_{i,j}(\lambda u_j)=\lambda \left(\sum_{j=1}^na_{i,j}u_j\right)\] et donc \(f(\lambda u)=\lambda f(u)\).

On remarque que le nombre de lignes de \(A\), \(m\) ici, est la dimension de l’espace d’arrivée. Le nombre de colonnes de \(A\) correspond lui à \(n\), dimension de l’espace de départ.

Exemple 2.4 Soit \(A\) la matrice à coefficients réels \[\begin{bmatrix} 2&0&3\\ 1&1&3\end{bmatrix}.\] L’application linéaire associée est l’application \(f=\mathbf{R}^3\to\mathbf{R}^2\) donnée par la formule \[f(x,y,z)=\begin{pmatrix}2x+3z\\x+y+3z\end{pmatrix}.\]

2.3 Matrice associée à une application linéaire

Nous avons vu qu’il y avait une application linéaire associée à chaque matrice. Réciproquement, pour chaque application linéaire on peut associer une matrice après avoir choisi une base l’espace de départ et l’espace d’arrivée.

Définition 2.8 Soit \(f\colon \mathbf{K}^n\to\mathbf{K}^m\) une application linéaire. Soit \(\mathcal{B}=(e_1,\dots,e_n)\) une base de \(\mathbf{K}^n\) et \(\mathcal{B}'=(e'_1,\dots,e'_m)\) une base de \(\mathbf{K}^m\). La matrice de \(f\) dans les bases \(\mathcal{B}\) et \(\mathcal{B}'\) est la matrice \(A=(a_{i,j})\in M_{m,n}(\mathbf{K})\) où les \((a_{i,j})\) sont les coefficients de \(f(e_j)\) dans la base \(\mathcal{B}'\), c’est-à-dire \[f(e_j)=\sum_{i}a_{i,j}e'_i.\] On note cette matrice \(\mathrm{Mat}_{\mathcal{B},\mathcal{B}'}(f)\).

Ainsi, les colonnes de \(\mathrm{Mat}_{\mathcal{B},\mathcal{B}'}(f)\) correspondent aux coordonnées des images des \(f(e_j)\).

Remarque. Le cas le plus fréquent est celui où les bases \(\mathcal{B},\mathcal{B}'\) sont les bases canoniques. Dans ce cas, la \(j\)-ième colonne de la matrice est exactement l’image du vecteur \((0,\dots,0,1,0,\dots,0)\) où le seul coefficient non nul est en \(j\)-ième position.

Exemple 2.5 On se place dans les bases canoniques de \(\mathbf{F}_2^2\) et \(\mathbf{F}_2^4\). On considère l’application \(f\colon \mathbf{F}_2^2 \to\mathbf{F}_2^4\) donnée par \(f(x,y)=(x,y,x+y,0)\) sa matrice est alors

\[\begin{bmatrix}1&0\\0&1\\1&1\\0&0\end{bmatrix}.\]

Exemple 2.6 Si \(f\colon\mathbf{K}^n\to\mathbf{K}^n\) est l’application identité, c’est-à-dire \(f(u)=u\) pour tout \(u\in\mathbf{K}^n\), alors la matrice associée (dans n’importe quelles base, si c’est la même au départ et à l’arrivée) est la matrice identité :

\[I_n=\begin{bmatrix} 1&0&\dots&\dots&0\\ 0&1&0&\dots&0\\ 0&0&\ddots&0&0\\ 0&\dots&0&1&0\\ 0&\dots&\dots&0&1 \end{bmatrix}.\]

Remarque. Si l’on part d’une matrice \(A\) qu’on lui associe son application linéaire \(f\) puis qu’on associe à \(f\) sa matrice dans les bases canoniques, on voit facilement que l’on retombe sur \(A\) car on a la relation \(f(e_j)=\sum_{i}a_{i,j}e'_i.\)

Ainsi, l’opération qui à une matrice associe son application linéaire est l’inverse de celle qui à une application linéaire associe sa matrice (si l’on est dans les bases canoniques).

Remarque. Si \(n=m\) et \(\mathcal{B}=\mathcal{B}'\), on notera simplement \(\mathrm{Mat}_\mathcal{B}(f)\) pour la matrice associée à l’application linéaire \(f\) dans la base \(\mathcal{B}\).

2.4 Produit matriciel

Que se passe-t-il lorsque l’on compose deux applications linéaires ? La proposition ci-dessous montre que l’on obtient de nouveau une application linéaire. Comment cela se traduit-il sur les matrices associées ? Nous verrons que cela correspond au produit matriciel.

Définition 2.9 (Produit matriciel) Soit \(A=(a_{i,k})\in \mathrm{M}_{l,m}(\mathbf{K})\) et \(B=(b_{k,j})\in \mathrm{M}_{m,n}(\mathbf{K})\). On appelle matrice produit de \(A\) et \(B\), la matrice \(C\in \mathrm{M}_{l,n}(\mathbf{K})\) donnée par

\[c_{i,j}=\sum_{k=1}^m a_{i,k}b_{k,j}.\]

Remarque. Pour pouvoir faire le produit d’une matrice \(A\) avec une matrice \(B\), il est nécessaire que le nombre de colonnes de \(A\) soit égal au nombre de lignes de \(B\).

Remarque. En général, même si \(A,B\) sont des matrices carrées de même taille, \(AB\neq BA\). Nous verrons des exemples en exercice.

Lemme 2.2 Soit \(f\) une application linéaire de \(\mathbf{K}^n\) dans \(\mathbf{K}^m\) de matrice \(A\) dans les bases \(\mathcal{B}\) et \(\mathcal{B}'\). Si \(u\in\mathbf{K}^n\) a pour coordonnées le vecteur colonne \(X\) dans la base \(\mathcal{B}\) alors \(f(u)\) a pour coordonnées, le vecteur colonne \(Y=AX\) dans la base \(\mathcal{B}'\).

Preuve. On note \(\mathcal{B}=(e_1,\dots,e_m)\) alors \(u=\sum_{j=1}^mX_je_j\) et

\[\begin{align*} f(u)&=\sum_{j=1}^mX_jf(e_j)\\ &=\sum_{j=1}^mX_j\left(\sum_{i=1}^nA_{i,j}e'_i\right)\\ &=\sum_{i=1}^n\left(\sum_{j=1}^m A_{i,j}X_j\right)e'_i.\\ \end{align*}\]

Ainsi, on obtient \(Y_i=\sum_{j=1}^mA_{i,j}X_j\), ce qui correspond à la formule du produit matriciel.

Proposition 2.1 Soit \(f\colon \mathbf{K}^n\to\mathbf{K}^m\) et \(h\colon \mathbf{K}^m\to\mathbf{K}^l\). L’application \(h\circ f\colon \mathbf{K}^n\to\mathbf{K}^l\) est une application linéaire.

De plus si \(\mathcal{B},\mathcal{B'},\mathcal{B}''\) sont des bases de respectivement \(\mathbf{K}^n,\mathbf{K}^m\) et \(\mathbf{K}^l\), \(A=\mathrm{Mat}_{\mathcal{B}',\mathcal{B}''}(h)\) et \(B=\mathrm{Mat}_{\mathcal{B},\mathcal{B}'}(f)\) et \(C=\mathrm{Mat}_{\mathcal{B},\mathcal{B}''}(h\circ f)\) alors

\[C=AB.\]

Preuve. Commençons par montrer que \(h\circ f\) est linéaire : soit \(u,v\in\mathbf{K}^n\) alors

\[\begin{align*}(h\circ f)(u+v)&=h(f(u+v))\\ &=h(f(u)+f(v))\\ &=h(f(u))+hf((v))\\ &=(h\circ h)(u)+(h\circ h)(u) \end{align*}\]

où l’on a utilisé successivement la linéarité de \(f\) puis de \(h\). De même, pour \(\lambda\in\mathbf{K}\) et \(u\in\mathbf{K}^n\),

\[\begin{align*} (h\circ f)(\lambda u)&=h(f(\lambda u))\\ &=h(\lambda f(u))\\ &=\lambda (h\circ f)(u). \end{align*}\]

Calculons les colonnes de la matrice de \(h\circ f\) dans les bases \(\mathcal{B}\) et \(\mathcal{B}''\) de \(\mathbf{K}^n\) et \(\mathbf{K}^l\). Soit \(\mathcal{B}=(e_j)_{1\leq j\leq n}\), \(\mathcal{B}'=(e'_k)_{1\leq k\leq m}\) et \(\mathcal{B}''=(e''_i)_{1\leq i\leq l}\) les trois bases considérées. La \(j\)-ième colonne de la matrice \(C\) est donnée par \(h\circ f(e_j)\). On calcule donc

\[\begin{align*} h\circ f(e_j)&=h(f(e_j))\\ &=h\left(\sum_{k=1}^mb_{k,j}e'_k\right)\\ &=\sum_{k=1}^mb_{k,j}h(e'_k)\\ &=\sum_{k=1}^mb_{k,j}\left(\sum_{i=1}^na_{i,k}e''_i\right)\\ &=\sum_{i=1}^n\left(\sum_{k=1}^ma_{i,k}b_{k,j}\right)e''_i. \end{align*}\]

Ce qui montre exactement que \(c_{i,j}=\sum_{k=1}^ma_{i,k}b_{k,j}\).

Exemple 2.7 Si \(A=\begin{bmatrix}3&1&2\\1&1&0\end{bmatrix}\) et \(B=\begin{bmatrix}1&0&0\\1&1&0\\1&2&3\end{bmatrix}\) alors

\[AB=\begin{bmatrix}6&5&6\\2&1&0\end{bmatrix}.\]

2.5 Image, noyau et rang

Associés à une matrice (ou une application linéaire), on trouve deux sous-espaces vectoriels importants : son image et son noyau. Ces deux espaces permettent de caractériser la surjectivité et l’injectivité de l’application.

Définition 2.10 L’image d’une application linéaire \(f\colon \mathbf{K}^n\to\mathbf{K}^m\) est l’ensemble \(\{v\in\mathbf{K}^m;\ \exists u\in\mathbf{K}^n, f(u)=v\}\) noté \(\mathrm{Im}(f)\).

Proposition 2.2 L’image d’une application linéaire \(f\) est un sous-espace vectoriel de \(\mathbf{K}^m\). De plus, si \(A\) est la matrice de \(f\) dans la base canonique alors \(\mathrm{Im}(f)\) est l’espace vectoriel engendré par les colonnes de \(A\).

Preuve. Soit \(v_1,v_2\in \mathrm{Im}(f)\) alors il existe \(u_1,u_2\in\mathbf{K}^n\) tels que \(v_i=f(u_i)\) et donc \(v_1+v_2=f(u_1)+f(u_2)=f(u_1+u_2)\in\mathrm{Im}(f)\). De même si \(\lambda\in \mathbf{K}\) alors \(\lambda v_1=\lambda f(u_1)=f(\lambda u_1)\in\mathrm{Im}(f)\). Ce qui montre que \(\mathrm{Im}(f)\) est bien un sous-espace vectoriel de \(\mathbf{K}^n\).

Soit \(v\in\mathrm{Im}(f)\) alors il existe \(u\in\mathbf{K}^n\) tel que \(v=f(u)\). Dans la base canonique \((e_j)\) de \(\mathbf{K}^n\), \(u=\sum_{j=1}^nu_je_j\) et donc \(f(u)=\sum_{j=1}^nu_jf(e_j)\). Ce qui montre que \(v\) est combinaison linéaire des \(f(e_j)\). Or ces derniers sont exactement les colonnes de la matrice \(A\) donc \(\mathrm{Im}(f)\) est l’espace vectoriel engendré par les colonnes de \(A\).

Définition 2.11 Le \(rang\) d’une application linéaire \(f\) est la dimension de \(\mathrm{Im}(f)\). On le note \(\mathrm{rang}(f)\).

Pour la matrice associée, il s’agit donc de la dimension de l’espace vectoriel engendré par ces colonnes.

Exemple 2.8 La matrice réelle \(A=\begin{bmatrix}1&0&1\\ 0&1&1\end{bmatrix}\) a pour image tout \(\mathbf{R}^2\) car les vecteurs \(\begin{bmatrix}1\\0\end{bmatrix}\) et \(\begin{bmatrix}0\\1\end{bmatrix}\) forment une base de \(\mathbf{R}^2\). Son rang est donc 2.

Exemple 2.9 La matrice \(\begin{bmatrix} 1&2&4\\ 2&1&5\\ 1&3&5\\ \end{bmatrix}\) a pour image \(\mathrm{Vect}\left(\begin{bmatrix}1\\2\\1\end{bmatrix}, \begin{bmatrix}2\\1\\3\end{bmatrix}\right)\) car ces deux vecteurs forment une famille libre (vecteurs non colinéaires) et génératrice puisque \[\begin{bmatrix}4\\5\\5\end{bmatrix}=2\times\begin{bmatrix}1\\2\\1\end{bmatrix}+\begin{bmatrix}2\\1\\3\end{bmatrix}.\] Son rang est donc 2.

Exemple 2.10 La matrice \(\begin{bmatrix} 0&1&1\\ 1&0&1\\ 0&0&0\\ \end{bmatrix}\) a pour image \(\{(x,y,0),\ x,y\in\mathbf{R})\}\). Son rang est donc 2.

Exemple 2.11 La matrice \(\begin{bmatrix}1&2\\3&6\end{bmatrix}\) est de rang 1, d’image engendrée par \(\begin{bmatrix}1\\3\end{bmatrix}\) puisque le second vecteur colonne est le double du premier.

Proposition 2.3 Une application linéaire \(f\colon\mathbf{K}^n\to\mathbf{K}^m\) est surjective si et seulement si \(\mathrm{rang}(f)=m\).

Preuve. Comme \(\mathrm{Im}(f)\) est un sous-espace vectoriel de \(\mathbf{K}^m\), ces deux espaces sont égaux s’ils ont même dimension, c’est-à-dire \(\mathrm{rang}(f)=m\).

Définition 2.12 Soit \(f\colon\mathbf{K}^n\to\mathbf{K}^m\) une application linéaire. Son noyau est l’ensemble \(\{u\in\mathbf{K}^n,\ f(u)=0\}\). On le note \(\mathrm{ker}(f)\).

Remarque. Si \(A\) est la matrice de \(f\) dans les bases canoniques de \(\mathbf{K}^n\) et \(\mathbf{K}^m\) alors le noyau est l’ensemble des vecteurs \(X\in\mathbf{K}^n\) tels que \(AX=0\).

Proposition 2.4 Le noyau d’une application linéaire \(f\colon\mathbf{K}^n\to\mathbf{K}^m\) est un sous-espace vectoriel de \(\mathbf{K}^n\).

Preuve. Soit \(f\colon\mathbf{K}^n\to\mathbf{K}^m\) une application linéaire. Si \(u_1,u_2\in\mathrm{ker}(f)\) alors \(f(u_1+u_2)=f(u_1)+f(u_2)=0+0=0\) et donc \(u_1+u_2\in\mathrm{ker}(f)\). De même si \(\lambda\in\mathbf{K}\) alors \(f(\lambda u_1)=\lambda f(u_1)=\lambda \cdot0=0\) et \(\lambda u_1\in\ker(f)\).

Proposition 2.5 Soit \(f\colon\mathbf{K}^n\to\mathbf{K}^m\) une application linéaire. L’application \(f\) est injective si et seulement si \(\mathrm{ker}(f)=\{0\}\).

Preuve. On a toujours \(0\in\mathrm{ker}(f)\) car \(f(0)=0\). Si \(f\) est injective alors \(0\) est le seul vecteur \(u\) tel que \(f(u)=0\) et donc \(\mathrm{ker}(f)=\{0\}\).

Réciproquement, supposons \(\mathrm{ker}(f)=\{0\}\). Soit \(u,u'\) deux vecteurs de \(\mathbf{K}^n\) tels que \(f(u)=f(u')\) alors \(f(u-u')=0\) et donc \(u-u'\in \mathrm{ker}(f)\). Ainsi \(u-u'=0\) et \(u=u'\). Ce qui montre que \(f\) est injective.

Remarque. Si \(f\) est l’application linéaire associée à une matrice \(A\), on notera indifféremment \(\mathrm{Im}(f)\)\(\mathrm{Im}(A)\) pour l’image de \(f\) et \(\ker(f)\) ou \(\ker(A)\) pour le noyau de \(f\).

Exemple 2.12 Le noyau de la matrice \(A=\begin{bmatrix} 0&1&1\\ 1&0&1\\ 0&0&0\\ \end{bmatrix}\) est l’ensemble des vecteurs \(X=\begin{bmatrix} x\\y\\z\end{bmatrix}\in\mathbf{R}^3\) tels que

\[AX=0,\] ce qui donne le système

\[\left\{\begin{matrix} y+z&=0\\ x+z&=0\\ 0&=0\ \end{matrix}\right.\]

C’est donc l’ensemble des vecteurs de la forme \(X=\begin{bmatrix} x\\x\\-x\end{bmatrix}\) avec \(x\in\mathbf{R}\).

2.6 Résolution de systèmes linéaires

En pratique, on rencontre souvent des situations où l’on doit résoudre un système linéaire du type

\[\left\{ \begin{matrix} a_{1,1}x_1+&\dots&+a_{1,n}x_n&=b_1\\ &\vdots&&\vdots\\ a_{m,1}x_1+&\dots&+a_{m,n}x_n&=b_m \end{matrix} \right.\]

avec \(m\) lignes et \(n\) colonnes. La multiplication matricielle montre que ce système peut se réécrire

\[AX=B.\]\(A=[a_{i,j}]\in\mathrm{M}_{m,n}\), \(X=[x_{j}]\in \mathbf{K}^n\) et \(B=[b_{i}]\in \mathbf{K}^m\).

Une fois que l’on a écrit le système sous cette forme, on peut répondre aux questions concernant la résolution du système : Y a-t-il une solution ? Si oui, celle-ci est-elle unique ?

Proposition 2.6 Le système \(AX=B\) possède une solution si et seulement si \(B\in\mathrm{Im}(A)\). De plus, si \(X_1\) et \(X_2\) sont deux solutions alors \(X_1-X_2\in\mathrm{ker}(A)\).

Preuve. Le système \(AX=B\) peut se réécrire

\[x_1A_1+\dots+x_nA_n=B\] où les \(A_i\) sont les vecteurs colonne de \(A\). Ainsi, le système possède une solution si et seulement si \(B\) est combinaison linéaire des \(A_i\), c’est-à-dire \(B\in\mathrm{Im}(A)\).

Si \(X_1,X_2\) sont deux solutions alors

\[A(X_1-X_2)=AX_1-AX_2=B-B=0\] c’est-à-dire \(X_1-X_2\in\mathrm{ker}(A)\).

Corollaire 2.1 Si \(A\) est de rang \(m\), il y a toujours une solution et si \(\ker(A)=\{0\}\) alors il y a au plus une solution.

Exemple 2.13 Le système linéaire \(AX=B\)\(A=\begin{bmatrix} 0&1&1\\ 1&0&1\\ 0&0&0\\ \end{bmatrix}\) et \(B=\begin{bmatrix}b_1\\b_2\\b_3\end{bmatrix}\) a une solution si seulement \(B\in\mathrm{Im}(A)\iff b_3=0\) et dans ce cas, la solution n’est pas unique car \(\mathrm{ker}(A)\neq\{0\}\).

2.7 Exercices

Exercice 2.1 Trouver toutes les matrices \(M\in\mathrm{M}_2(\mathbf{R})\) telles que

\[M\begin{bmatrix}5&3\\0&5\end{bmatrix}=\begin{bmatrix}5&3\\0&5\end{bmatrix}M.\]

Exercice 2.2 On considère les applications linéaires \(f\colon\mathbf{R}^2\to\mathbf{R^3}\) et \(g\colon\mathbf{R^3}\to\mathbf{R}^2\) données par les formules suivantes :

\[f(x,y)=(3x+2y,y-x,2y),\]

\[g(x,y,z)=(x+y+z,z-y).\]

À l’aide d’un produit matriciel, donner l’expression de la fonction \(h=g\circ f\colon\mathbf{R}^2\to\mathbf{R}^2\).

Exercice 2.3 Calculer image, rang et noyau des matrices suivantes. En déduire ou non l’injectivité et la surjectivité des applications linéaires associées.

  1. \(A=\begin{bmatrix}0&0&1\\0&1&0\\1&0&0\end{bmatrix}\),
  2. \(B=\begin{bmatrix}1&2&3\\2&4&6\end{bmatrix}\),
  3. \(C=\begin{bmatrix} 1&2\\2&4\\5&10\end{bmatrix}\).

Exercice 2.4 Les systèmes suivants possèdent-ils une solution ? Si oui, est-elle unique ?

  1. \[\left\{\begin{matrix} x+2y+3z&=7\\ 2x+4y+6z&=14 \end{matrix}\right.\]
  2. \[\left\{\begin{matrix} x+2y+3z&=7\\ 2x+4y+6z&=13 \end{matrix}\right.\]

Exercice 2.5 Soit \(A=\begin{bmatrix}1&2\\0&2\end{bmatrix}\). On considère les applications

\[\begin{array}{rcl}G_A\colon\mathrm{M}_2(\mathbf{R})&\to&\mathrm{M}_2(\mathbf{R})\\ M&\mapsto&AM\end{array}\] et \[\begin{array}{rcl}D_A\colon\mathrm{M}_2(\mathbf{R})&\to&\mathrm{M}_2(\mathbf{R})\\ M&\mapsto&MA\end{array}\]

  1. Montrer que \(D_A\) et \(G_A\) sont des applications linéaires de l’espace vectoriel \(\mathrm{M}_2(\mathbf{R})\).
  2. Donner les matrices associées à ces applications linéaires dans la base canonique de \(\mathrm{M}_2(\mathbf{R})\).

Exercice 2.6 (Matrice d'adjacence et nombre de chemins) Soit \(G\) un graphe non orienté dont les sommets sont étiquetés de \(1\) à \(n\). On note \(A\) la matrice d’adjacence de \(G\) (c’est-à-dire que \(A_{i,j}=1\) s’il y une arête entre \(i\) et \(j\) et sinon \(A_{i,j}=1\).

  1. Montrer par récurrence que le coefficient \((A^k)_{i,j}\) d’indices \((i,j)\) de \(A^k\) (qui est le produit \(\underbrace{A\times\dots\times A}_{k\ \mathrm{fois}}\)) est égal au nombre de chemins de longueur \(k\) entre \(i\) et \(j\).
  2. Montrer que le graphe est connexe si et seulement si pour tout \((i,j)\), il existe \(k\in \mathbf{N}\) tel que \((A^k)_{i,j}\neq0\).
  3. Montrer que la question précédente, s’il existe un tel que \(k\in\mathbf{N}\) alors il existe aussi un tel \(k\) avec \(k\leq n\).

Exercice 2.7 Une matrice \(A\in \mathrm{M}_{n}(\mathbf{K})\) est triangulaire supérieure si \(A_{i,j}=0\) pour \(i>j\). On note \(\mathrm{T}_n(\mathbf{K})\) l’ensemble des matrices triangulaires.

  1. Donner des exemples de matrices triangulaires supérieures et non triangulaires supérieures pour \(n=3\).
  2. Montrer que \(\mathrm{T}_n(\mathbf{K})\) est un sous-espace vectoriel de \(A\in \mathrm{M}_{n}(\mathbf{K})\).
  3. Montrer que si \(A,B\in \mathrm{T}_{n}(\mathbf{K})\) alors \(AB\in \mathrm{T}_{n}(\mathbf{K})\).
  4. Donner une base de l’espace vectoriel \(\mathrm{T}_n(\mathbf{K})\) et en déduire sa dimension.