Soit M une variété riemannienne. Soit p>1 un réel. On note O*,p(M) l'espace des formes différentielles Lp dont la différentielle extérieure est aussi Lp. La cohomologie du complexe (O*,p(M),d) s'appelle la cohomologie Lp de M. Elle n'est intéressante que si M est non compacte.
La cohomologie Lp est invariante sous quasiisométrie
(cf. [Gromov]). Elle permet de construire des invariants numériques
assez fins. Par exemple, dans [P], on définit le nombre
p(M)=inf {p>1 ; H1,p(M) est non nul},
et on montre que lorsque M est simplement connexe et à courbure
négative, ce nombre s'interprète comme une sorte de dimension
du bord à l'infini. En effet, elle minore la dimension de Hausdorff
du bord (relative à la distance de Hamenstädt), mais à
la différence de celle-ci, c'est un invariant de quasiisométrie.
Pour les espaces homogènes à courbure négative, p(M)
coïncide avec la dimension de Hausdorff du bord. Enfin, elle est sensible
au pincement de la courbure sectionnelle. Si celle-ci est comprise entre
-1 et - a2>-1, alors
(n-1)a<=p(M)<= (n-1)a-1.
L'objet de ce papier est d'explorer d'une part, le comportement de H1,p lorsque la courbure n'est plus nécessairement négative, et d'autre part, le comportement de Hk,p pour k>1 et sa relation avec la courbure.
En toute généralité, la cohomologie Lp
se décompose en cohomologie réduite et torsion
0-> T*,p->H*,p->R*,p-> 0
où la cohomologie réduite R*,p et le
quotient de ker d par l'adhérence de l'image de d et la torsion
T*,p le quotient de l'adhérence de l'image par im d.
La cohomologie réduite est un espace de Banach sur lequel les isométries
de M agissent isométriquement. La torsion est non séparée.
1. ou bien le groupe d'isométrie de M est une extension compacte d'un groupe de Lie résoluble unimodulaire. Dans ce cas, pour tout p>1, T1,p(M) est non nul.
2. ou bien M est quasiisométrique à un espace homogène à courbure sectionnelle strictement négative. Dans ce cas, T1,p(M)=0 pour tout p> 1. De plus, H1,p(M)=0 si p<= p(M) et R1,p(M) est non nul si p>p(M).
3. sinon, H1,p(M)=0 pour tout p>1.
Hk,p(M)=0 pour 1<p<= q(n,a,k)
Tk,p(M)=0, i.e. Hk,p(M) est séparé pour 1<p<q(n,a,k-1).
Ce résultat, annoncé dans [Pansu], améliore celui de H. Donnelly et F. Xavier, [Donnelly-Xavier]. Le résultat d'annulation de la torsion est optimal. D'abord, pour l'espace hyperbolique (a=1) en tout degré, voir en 15.2. Mais il y a d'autres exemples. Soient n et m des entiers tels que 1<m<n et 0<a<1 un réel. Soit Gm,n,a le produit semi-direct G=RxARn-1 où A est une matrice diagonale avec seulement deux valeurs propres distinctes 1 et a de multiplicités m-1 et n-m. Alors le groupe de Lie Gm,n,a possède une métrique riemannienne invariante à gauche -a2-pincée.
q(n,a,k-1)<p<1+(1+(n-1-k)a)/(k-2+a),
alors Tk,p(Gk,n,a) est non nul, i.e. Hk,p(Gk,n,a
) n'est pas séparé. Par conséquent, pour tout m=2,...,n-1,
Gm,n,a n'est pas quasiisométrique à une variété
-a'2-pincée avec a'<a.
En particulier, si M est un espace hyperbolique complexe, Hk,p(M) est séparé sauf pour au plus deux valeurs de p en chaque degré.
On constate que le groupe G2,4,1/2 et le plan hyperbolique
complexe, qui sont infiniment proches comme espaces homogènes, n'ont
pas la même cohomologie Lp en degrés 2 et 3.
Par exemple, si les parties réelles r1<=...<=rn-1
des valeurs propres de A satisfont r1+...+rn-2<0<r1+...+rn-1,
alors Tk,p(G) est non nul pour tout p>1 et tout k=2,...,n-1.
A l'inverse, si les ri sont toutes de même signe, il
existe pour tout k=2,...,n-1 des intervalles de valeurs de p pour lesquelles
la cohomologie Lp est séparée, ce qui fournit
de nouveaux invariants numériques de quasiisométrie. Ces
invariants suffisent à séparer certains espaces homogènes
à courbure négative.
Inversement, pour tout n>3, tout k=2,...,n-2 et tout p>1 il existe
un espace homogène riemannien contractile M de dimension n tel que
Rk,p(M) soit non nul. Pour tout n>1 et tout p>n-1 il existe
un espace homogène riemannien contractile M de dimension n tel que
R1,p(M) et Rn-1,p(M) soient non nuls.
Inversement, pour tout n>3, tout k=2,...,n-2 et tout p>n-2/k-1 il existe un espace homogène riemannien contractile M de dimension n tel que Rk,p(M) et Tk,pk(M) soient non nuls simultanément.
Enfin, J. Dodziuk et I. Singer ont conjecturé que pour toute
variété simplement connexe à courbure négative
possédant possédant un groupe
discret cocompact d'isométries,
il n'existe de formes harmoniques L2 qu'en un seul degré,
voir [D] et [A]. Ce n'est pas vrai si on ne suppose pas le groupe discret.
Soit M un espace symétrique de rang r. Montrer que pour k<r, Hk,p(M)=0 et Hr,p(M) est séparé pour tout p>1. Pour p=2, cela résulte d'une formule de Y. Matsushima, [Matsushima], voir aussi [Borel].
Soit G un groupe de Lie résoluble unimodulaire connexe et simplement connexe. Montrer que la cohomologie réduite Rk,p(G) est nulle et que la torsion Tk,p(G) est non nulle en tout degré et pour tout p>1. C'est connu pour les groupes abéliens (voir en 72), pour certains groupes nilpotents (voir en 74). Pour le groupe SOL, c'est un résultat de V. Goldshtein et M. Troyanov, [GT].
Semi-continuïté. Soit Mj une suite d'espaces homogènes riemanniens qui converge vers M. Si pour tout j, Hk,p(Mj) est non nul, est-ce que Hk,p(M) est non nul ?
Soit M une variété riemannienne à géométrie bornée. L'ensemble des p tels que Rk,p(M) est non nul est-il ouvert ? L'ensemble des p tels que Tk,p(M) est non nul est-il fermé ? On trouve des résultats dans cette direction dans [Chayet-Lohoué].
Soit M une variété riemannienne à géométrie
bornée. Alors M admet des fonctions harmoniques non constantes à
gradient Lp si et seulement si R1,p(M) est non nul.
C'est trivialement vrai si p=2. Un théorème de N. Lohoué
affirme que c'est vrai si M est ouverte à l'infini, [Lohoue].
Celle-ci ramène le calcul de la cohomologie Lp d'un
produit semi-direct RxAH au calcul de la cohomologie
d'un complexe B*,p de formes différentielles sur H. L'espace
B*,p est constitué de formes différentielles dont
certaines composantes s'annulent et les autres appartiennent à des
sortes d'espaces de Besov anisotropes. Par exemple, l'espace hyperbolique
réel (à courbure constante) s'écrit RxARn-1
et Bk,p est essentiellement l'espace des k-formes différentielles
fermées sur Rn-1 à coefficients dans l'espace
de Besov Bp,p-k+((n-1)/p), voir au paragraphe 8.2.
Autrement dit, la question de savoir si la cohomologie Lp est
séparée ou même nulle mêle analyse et algèbre.
Lorsque p=2, la torsion est liée à la présence
de spectre proche de 0 pour le laplacien (voir en 13.3). Le calcul de la
torsion pour des produits tordus s'apparente à l'étude des
petites valeurs propres du laplacien sur les formes dans la limite adiabatique,
voir par exemple [Mazzeo-Melrose] ou [Forman], où les considérations
algébriques jouent un grand rôle. La nouveauté tient
dans le fait que les poids (la ``taille'' des fibres) tendent simultanément
vers l'infini et vers 0 suivant les directions (mélange de limite
adiabatique et antiadiabatique). C'est le caractère antiadiabatique
qui produit les espaces de Besov.